Je suis à J-23 de mon départ en Israël. Et à chaque fois que je veux me mettre à vous parler de la préparation de mon voyage, retranscrire mon état d’esprit, je me sens bloqué. Ou perdu. Comme si je ne savais pas par où commencer. Alors je me lance aujourd’hui…
C’est peut-être le doute qui surgit de temps en temps, surtout au réveil, quant à l’intérêt de ma démarche, mon immersion en Israël en tant Français d’origine syrienne. Surtout par rapport à l’immensité de la question de la paix entre Arabes et Israéliens. Me dire « Qui suis-je pour pouvoir parler d’une situation aussi complexe ou d’une histoire bien plus vieille que moi ? » ou « Quelle est ma légitimité » ou alors la peur de « ne pas être compris » par les uns ou les autres.
En réalité, j’entends déjà les critiques. Pour beaucoup, je serais sûrement « un traître à la cause palestinienne (et musulmane) »; ou « un vendu au solde des Sionistes et des Israéliens »; « un hérétique qui blasphème l’histoire arabe » ou je ne sais quoi encore…
Si je devais reprendre toutes les critiques – y compris les mots et les insultes que j’entends depuis des mois sur les spaces Twitter à l’égard des partisans arabes de la paix – ainsi que la haine et la violence qui y résident, je pourrais prendre peur… et peut-être renoncer. Le pire c’est que ces mêmes mots, je pourrais les entendre de la bouche de ma propre famille, frères, sœurs ou cousins. Hérésie suprême et haute trahison.
Ce n’est pas seulement le voyage en lui-même dans cette « entité ennemie » et « diabolique ». Mais le plus grave pour eux réside ailleurs : décider de me mettre du côté de cet ennemi, accepter sa version de l’histoire et m’en imprégner, admettre qu’il pourrait avoir raison, ses raisons. Le reconnaître en tant qu’autre chose qu’ennemi.
Oui, je sais que je vais être jugé. Et condamné. Je sais aussi que je ne pourrai plus mettre les pieds dans le pays natal de mes défunts parents. De toute façon, ce pays m’est déjà interdit, par la haine, la guerre et la dictature qui règne. Je sais que je vais être méprisé et rejeté. J’imagine ô combien ces expressions de visage « dégoûtés » et « haineux » que je vais provoquer et susciter. Je connais toutes les reproches qu’on va me faire. Je les connais par cœur, parce que j’ai grandi au milieu de cette haine légendaire. J’imagine les contre-vérités qu’on va me ressortir et les registres religieux, historiques ou nationalistes qui vont avec. Je m’attends à tout ça, et je sais que je n’ai pas toutes les réponses. Car ma démarche n’est pas celle d’un politicien ou d’un historique ou d’un militant. C’est celle d’un citoyen qui a décidé juste de traverser le pont. Curieux et désireux de connaître ce qu’on lui a toujours interdit. Oui j’ai décidé de me mettre du côté de mon « ennemi désigné ». je l’assume.
Ce que je sais aussi aussi: c’est ma détermination qui fera taire tous les doutes et les peurs. C’est cette voix qui au fond de moi me pousse à les braver. Je ne suis pas un croyant pour comprendre la nature de cette voix, mais je sais qu’elle me parle depuis de longues années.