Ce 4 novembre marque l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Il y a presque trente ans, ce meurtre a refermé une brèche d’espoir — et figé la paix au Moyen-Orient dans un deuil interminable.
Ce jour-là, en 1995, j’étais en France. Devant la télévision, j’ai revu le visage de Rabin, acclamé par la foule, dessinant des perspectives nouvelles, presque impossibles. Puis l’impensable : une balle, le chaos, le sang. La paix venait d’être exécutée en direct. C’était plus qu’un assassinat : c’était un monde qui s’effondrait.
Dans Un Syrien en Israël, où je raconte mon voyage — bien avant le 7 octobre 2023 —, j’écris ceci :
« La place Rabin, en travaux, est une métaphore de l’énorme chantier qu’est devenu le nouveau Moyen-Orient. Les travaux seront bientôt finis. Mais la paix, elle, qui s’en occupe encore ? »
Dans le chapitre “Bus 19”, j’explique comment, nous les Syriens, nous percevions Yitzhak Rabin. Même au plus fort des négociations, jamais nous ne le considérions comme un “homme de paix”. Pour ma mère, il était « le pire des massacreurs ». On nous l’enseignait comme un général sioniste sanguinaire, un criminel par excellence. C’est que tout Israël était pour nous une escroquerie de l’Histoire, une excroissance étrangère plantée dans le cœur arabe. Un mensonge utile pour nous éviter de regarder en face notre propre échec.
Puis il y eut Oslo. Genève. Les rêves fous d’un train reliant Damas à Tel-Aviv. De week-ends à Tel-Aviv pour des Syriens qui, quelques heures plus tôt, appelaient à la mort des “Yahoud”. La paix, discutée dans l’ombre des cafés damascènes, semblait irréelle. Je ne cédais pas à l’illusion, mais je voulais y croire. Même quand la haine suintait de chaque mot, de chaque regard.
Alors imaginez mon émotion en 2023, lorsque j’ai posé le pied place Rabin, à Tel-Aviv. Moi, le Syrien. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ma mère. Là-haut, elle doit me voir. M’en vouloir ? Non. Elle aurait eu peur pour moi. Mais elle aurait compris.
Aujourd’hui, la Place Rabin a retrouvé son visage. Les travaux sont terminés. Mais le chantier de la paix, lui, n’a pas avancé d’un mètre. La paix, à l’époque, personne ne l’a vraiment portée. Assad marchandait. Les Syriens rêvaient d’ouverture économique… tout en refusant catégoriquement l’existence d’Israël. Quant à Israël, il enterre encore ses morts et affronte ceux qui veulent sa destruction.
Entre une Syrie à reconstruire et un Israël debout malgré le sang et les bombes, la question demeure :
Qui, demain, aura le courage — non pas de tendre la main — mais d’affronter en soi l’ennemi qu’on a fabriqué de l’autre ?
Parce que la paix, ici, est d’abord un combat contre soi-même.
