Mon dilemme. Parce que je n’ai pas le droit, pas le luxe, de renoncer à l’espoir.
Le monde entier semble vouloir y croire. Il faut tourner la page, dit-on. Il faut croire à la modération d’Ahmad al-Charaa, l’ancien al qaida, devenu président en cravate de la Syrie. Croire que l’ancien chef djihadiste s’est mué en homme d’État. Qu’il peut incarner un nouvel espoir. La paix. La stabilité. La reconstruction.
Très bien.
Mais permettez-moi de douter.
Et d’en souffrir.
Car les questions, elles, restent entières.
Un homme qui, il y a six mois à peine, jurait de libérer Jérusalem par les armes peut-il vraiment faire la paix avec ceux qu’il voulait chasser ?
Peut-on changer si vite, après des années de slogans haineux, de serments de mort contre les Juifs et les mécréants ?
Peut-on effacer d’un trait un passé si lourd, si brutal ?
Qu’en est-il de ses milices innombrables qui, jusque dans les rues de Damas, hurlaient encore il y a quelques jours : « Khaybar Khaybar ya Yahoud » ?
Qu’en est-il de cette culture ancrée, transmise, répétée, qui a enseigné à des milliers de Syriens comme mon propre oncle il y a cinquante ans que « c’est dommage qu’Hitler n’ait pas terminé son travail » ?
Je serais le premier à applaudir un changement radical de cet homme et ce régimes. Vraiment.
Pour le bien de la Syrie, pays martyrisé, ravagé par la dictature, puis par la guerre, et désormais dévoré par les islamistes.
Mais comment croire à cette modération tant qu’il y a des femmes alaouites enlevées, tant que les voix des minorités sont étouffées, tant qu’on inscrit la charia dans la Constitution, tant que le pouvoir reste confisqué par un homme sans légitimité démocratique — aussi bien vêtu soit-il ?
Je reste farouchement opposé aux islamistes. Je les combats par mes mots, mes actes, mes choix.
Mais… je dois avouer une déchirure.
Quand je vois un chef djihadiste accepter, sous pression de Trump, d’envisager la paix avec Israël, je vacille. Je vacille parce que cette paix-là, entre Israël et la Syrie, c’est le rêve de ma vie. Le combat de mon existence. Ce pour quoi j’écris, je parle, je m’expose.
Alors ai-je encore le droit de fermer la porte à cet espoir, aussi fragile, aussi improbable soit-il ?
Je ne veux pas être aveugle. Mais je ne veux pas non plus être cynique. Je me force à croire qu’un homme peut changer. Je me force à espérer. Je me pince le nez, je mets de côté mes certitudes, je ravale mes colères, et je me demande : et si je m’étais trompé ?
Je ne demande qu’à me tromper
Je veux y croire, même si je n’y parviens pas.
Pas encore.
J’attends. Demain. Après-demain.
J’attends un signe. Des preuves. Un renoncement réel, sincère, irréversible à l’idéologie mortifère. J’attends de voir comment un ancien djihadiste, amoureux de la mort, peut un jour apprendre à aimer la vie.
À aimer la paix.
Pour l’instant, je doute.
Mais je doute avec espoir.
Comme on regarde un mirage au loin, flou, insaisissable.
Et qu’on avance quand même.
Parce que je n’ai pas le droit, pas le luxe, de renoncer à l’espoir.