Je suis né en Syrie, un pays qui se considérait, et était souvent perçu, comme le fer de lance de la nation arabe dans sa lutte contre “l’entité sioniste”. Là-bas, dans mon enfance, le mot Holocauste n’existait pas. Ni dans les livres, ni dans les discussions, ni dans les enseignements. Ce n’était pas simplement une absence, mais une volonté délibérée d’effacer une tragédie qui ne cadrait pas avec la narration officielle. L’histoire des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, leur extermination systématique par les nazis, n’avait aucune place dans notre univers. On parlait de la deuxième guerre mondiale et de ses millions de victimes mais jamais on ne parlait de l’industrialisation de la mort pour les Juifs parce que Juifs.
En même temps, on nous éduquait pour haïr Israël et, par extension, les Juifs. Ils n’étaient pas seulement des ennemis : ils étaient déshumanisés, réduits à des abstractions malveillantes, et leur mort, voire leur extermination, était souvent perçue comme justifiée.
Je grandissais donc dans cet endoctrinement, convaincu que cette haine était naturelle, légitime. La Palestine, nous répétait-on, était sacrée, et Israël n’était qu’une imposture coloniale. Exactement comme le répète aujourd’hui une vulgaire marchande syrienne de la haine devenue députée.
Rien dans ce cadre ne permettait de voir l’autre côté de l’histoire, de comprendre que derrière les clichés et les slogans se trouvait une réalité humaine bien plus complexe.
La découverte du mot Shoah
Mon cheminement a commencé bien plus tard, lorsque je suis arrivé en France à l’âge adulte. C’est là, pour la première fois, que j’ai entendu le mot Shoah. Ce mot n’avait pas seulement été absent de mon vocabulaire ; toute la réalité qu’il désigne m’était totalement étrangère. Ce fut un choc brutal, une confrontation douloureuse avec une part d’histoire que l’on m’avait cachée.
Il faut rappeler qu’à mon époque syrienne, il n’y avait ni internet, ni accès libre à l’information, ni les interminables chaînes de télévision qui auraient pu me permettre de connaître la vraie version de l’histoire. Ce que je savais, ce qu’on m’enseignait, était un récit construit pour servir une idéologie, un nationalisme radical qui justifiait tout au nom de la cause palestinienne. Je n’avais aucun moyen de remettre en question cette version.
Mais les jeunes aujourd’hui, en France, qui utilisent les rhétoriques de l’horreur et répètent les slogans de la haine, quelle est leur excuse ? Ils ont accès à tout. À la vérité, aux archives, aux témoignages des survivants, aux documentaires, aux musées, aux récits des Justes. Pourtant, certains choisissent de détourner les yeux, de nier l’évidence, voire de se complaire dans un négationnisme masqué sous des discours militants.
Les rencontres et la remise en question
La France m’a offert ce que la Syrie m’avait refusé : la liberté de découvrir, de questionner et de déconstruire. Dans les bibliothèques, à travers des lectures, des documentaires, des discussions, j’ai commencé à découvrir la vérité sur l’Holocauste. Les images des camps de concentration, les témoignages des survivants, les récits de la brutalité nazie ont été pour moi une révélation.
Je me souviens encore de l’impact des premières images de corps squelettiques entassés dans des fosses communes. Pendant des jours, je ne pouvais ni dormir ni penser à autre chose. Comment avais-je pu grandir dans un environnement où cette souffrance humaine avait été ignorée, voire niée ?
Mais ce ne furent pas seulement les livres ou les films qui m’ont transformé. Ce furent aussi les rencontres. En France, des amis, souvent de la gauche républicaine, m’ont confronté à mes contradictions. Ils ne m’ont pas laissé me réfugier dans l’excuse de mon éducation ou de ma culture. Ils m’ont poussé à réfléchir, à remettre en question les certitudes que j’avais héritées. Ils m’ont montré que l’antisémitisme, même lorsqu’il est déguisé en anti-sionisme, reste une forme de haine, un poison qui détruit non seulement ceux qui en sont victimes, mais aussi ceux qui le portent en eux.
L’un des moments-clés de mon parcours a été la lecture d’Exodus de Leon Uris, un roman qui m’a permis de voir les Juifs et les Israéliens comme des êtres humains, avec leurs souffrances, leurs espoirs et leurs luttes. Ce livre m’a aidé à comprendre que l’histoire d’Israël n’était pas seulement une question de politique, mais aussi une question de survie, profondément enracinée dans les tragédies de l’Holocauste.
Une question qui reste ouverte
Aujourd’hui, alors que je me remémore ce cheminement à l’occasion de la Journée internationale de la mémoire de l’Holocauste, une question me hante : un jeune Syrien, élevé comme je l’ai été, aurait-il aujourd’hui la même chance de déconstruire la haine dans laquelle il a grandi ? J’en doute. Le climat actuel, où certaines idéologies identitaires et communautaires prennent le pas sur la vérité historique et le respect universel, rend ce chemin encore plus difficile.
Mais plus encore, que dire de ces jeunes en France qui, bien qu’ayant tous les outils pour connaître la vérité, choisissent encore la haine ? Quel est leur prétexte ? Quelle est leur excuse ? Moi, je pouvais dire que je ne savais pas. Eux, ils savent. Et pourtant, certains continuent de propager la négation, de relativiser, de détourner le regard ou de justifier l’injustifiable au nom d’un “palestinisme” qui n’est plus qu’une caricature haineuse.
Mon devoir de mémoire
Raconter ce parcours n’est pas une manière de me vanter d’avoir changé. C’est un appel, un devoir de mémoire. L’Holocauste est une tragédie universelle, une leçon pour toute l’humanité, y compris pour ceux qui, comme moi, ont grandi dans des sociétés qui l’ont niée ou minimisée. Ce silence autour de l’Holocauste, que j’ai connu en Syrie, est une forme de complicité.
Le rompre, c’est refuser d’être complice. C’est rendre justice aux victimes. Et c’est aussi espérer qu’un jour, ceux qui ont tous les moyens d’accéder à la vérité n’auront plus aucune excuse pour l’ignorer.