Parmi les rencontres les plus marquantes de mes voyages en Israël, il y a Jack. Un frère. Un Juif syrien. Un Damascène en Israël.
Je l’ai rencontré pour la première fois à Tel Aviv, lors de mon tout premier voyage. Et aujourd’hui, j’ai eu le bonheur de le retrouver.
Jack a quitté Damas à l’âge de 12 ans, arraché à la terre qui l’a vu naître, à ses souvenirs, à une ville où sa communauté juive de Syrie n’avait plus d’avenir.
Pourtant, lorsqu’il parle, lorsqu’il rit, lorsqu’il raconte, il est toujours ce gamin damascène. Son accent, ses intonations, ses expressions… tout en lui respire la Syrie.
Et c’est là que tout devient vertigineux. Moi, Syrien de naissance, je n’avais jamais mis un pied dans le quartier juif de Damas. Il était un mystère, un lieu interdit, effacé des cartes et des récits officiels. On nous avait appris que les Juifs en Syrie étaient des traîtres, des fantômes du passé, des ennemis invisibles.
Et pourtant, en écoutant Jack, je me rends compte qu’il est presque plus syrien que moi. Il me raconte les ruelles, les odeurs des souks, les visages de son enfance avec une précision bouleversante, même un gâteau damascène que je ne connaissais pas ou que j’ai complètement oublié.
Jack et les siens ont tout laissé derrière eux. Du jour au lendemain. Il fallait vite partir avant que les portes de l’enfer ne se referment. Pas par choix, mais par nécessité. Parce que la terre de leurs ancêtres leur est devenue hostile. Parce que les promesses de coexistence se sont brisées dans le bruit des persécutions et des départs forcés. Parce que des siècles d’histoire ont été balayés d’un revers de main par le vent du rejet, de la haine et de l’oubli.
Et aujourd’hui, en le revoyant, en partageant avec lui ces souvenirs et cette tendresse fraternelle, je ressens à la fois une joie immense et une tristesse infinie. Joie de savoir qu’il a trouvé un refuge, une vie, un avenir. Tristesse en pensant à tout ce qu’il a perdu, à ce que mon pays de naissance lui a pris.
Alors, Jack, pardon. Pardon pour tout le mal que la Syrie a infligé à ta famille. Pardon pour ces années de peur, de persécution et d’arrachement.
Et merci. Merci d’être resté, envers et contre tout, un frère syrien. Et de deviner un frère israélien désormais.
Merci de garder vivante une mémoire que d’autres ont voulu effacer. Merci pour ces retrouvailles, pour cette chaleur, pour cette leçon d’humanité.
Tu as quitté Damas, mais Damas ne t’a jamais quitté.
Et à travers toi, à travers ton accent, ton rire et tes souvenirs, je retrouve un peu de cette Syrie que nous avons, chacun à notre manière, perdue.