Dans la série : Écoutez ceux qui savent
Ils sont rares, ces Palestiniens qui osent rompre avec la haine, dénoncer le martyrologe politique, et appeler leur propre peuple à se transformer de l’intérieur. Ils sont encore plus rares à le faire sans se renier, sans devenir des porte-paroles d’ONG ou des pantins occidentaux. Ali Abu Awwad est de ceux-là. Un homme qui refuse la haine qu’on veut lui imposer. Un homme qui ne demande ni pitié ni excuse, mais dignité pour tous — y compris pour ceux qu’on lui a enseigné à détester.
Je l’ai rencontré. Et j’ai vu dans son regard ce que la plupart des discours ont perdu : une foi concrète dans la transformation, une lucidité désarmante, une sagesse survivante du désastre. Et surtout, une idée dérangeante : la paix commence chez soi. Chez soi, dans son propre camp, au risque d’être trahi par les siens avant d’être entendu par l’autre.
Un parcours inédit : de la prison à la dissidence intérieure
Ali ne vient pas du camp des naïfs ou des pacifistes de salon. Il vit en Cisjordanie. Il a grandi à Halhul, près d’Hébron, dans une famille de réfugiés palestiniens, marquée par l’exil et la perte. Il a jeté des pierres, il a fait de la prison, il a enterré un frère tué par un soldat. Il sait ce que la violence fait au corps, mais surtout à l’âme. Et c’est justement pour cela qu’il en a fait le choix inverse : la non-violence, comme un acte de puissance, pas de renoncement.
“Être non-violent, ce n’est pas aimer l’autre. C’est s’aimer assez soi-même pour refuser de se laisser définir par lui.”
Pour Ali, la non-violence n’est pas une soumission. C’est une prise de forme spirituelle et politique. Un refus de l’avilissement — pour soi, pas pour plaire.
Moi, ça me fait penser aux mots de Golda Meir : « Nous n’aurons la paix avec les Arabes que lorsqu’ils aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous détesteront ». Autrement dit, comme Ali le dit différemment : il faut s’aimer soi-même.
Israéliens : ni héros, ni monstres — mais des voisins à comprendre
Ce qui frappe chez Ali, c’est qu’il parle des Israéliens sans haine, sans idolâtrie, sans slogans. Il a compris qu’un peuple ne se construit pas dans le déni de l’autre, mais dans l’affirmation de soi.
“Israël existe. Les Israéliens existent. Ils ne s’en iront pas. Notre avenir dépend de la manière dont nous décidons de les regarder, non pas comme des envahisseurs, mais comme des êtres humains dont nous devons comprendre la peur — si nous voulons être compris dans la nôtre.”
Ali ne remet jamais en cause l’existence de l’État d’Israël. Il rejette la violence, la punition collective, d’où qu’elles viennent — mais il ne croit ni à l’éradication, ni à la négation. Ce qui est révolutionnaire chez lui, ce n’est pas qu’il “parle avec Israël”, mais qu’il refuse la déshumanisation, même quand elle sert un agenda politique.
Une majorité silencieuse : l’espoir têtu d’Ali Abu Awwad
Là où il m’a véritablement surpris – moi, Syrien, ayant longtemps cru à la haine omniprésente dans la rue palestinienne et arabe – c’est lorsqu’il m’a dit :
“Contrairement à ce que beaucoup croient, la rue palestinienne n’est pas remplie de haine ni d’appels à la mort des Juifs. Il y a une majorité silencieuse dont on ne parle jamais. Une majorité qui veut vivre, pas mourir.”
J’ai voulu le contredire. Mais il a raison de me dire, le rappeler, que cet autre visage existe, étouffé, déformé, invisibilisé. Et j’ai envie de le croire. Parce que le croire rend possible ce qui semblait perdu : l’espoir.
Parce que si Ali a rencontré cette autre parole, cette parole qu’on n’entend pas sur les réseaux sociaux, ni dans les meetings du Hamas, ni de la bouche des marchands de la cause palestinienne en France et en Occident, alors cela veut dire que la transformation est encore possible. En tout cas, pour lui, elle est nécessaire.
“Nous, Palestiniens, devrions être les premiers à protéger les droits des Juifs”
Ali va encore plus loin. Non seulement il refuse la haine, mais il réclame une responsabilité morale inédite :
“Les Palestiniens doivent devenir les protecteurs des droits des Juifs. Nous devrions être les premiers à nous engager dans les Accords d’Abraham, pas les premiers à les maudire.”
Voilà une parole interdite, renversante. Il la prononce sans trembler. Non pas pour “plaire” ou se soumettre, mais pour s’élever — pour se tenir debout, là où le projet palestinien s’est effondré moralement.
Ali ne dit pas que la justice passe par la soumission. Il dit que la résistance passe par la dignité — d’abord envers soi-même.
Le Hamas, le 7 octobre, et les deux peuples sacrifiés
Il ne détourne pas les yeux de la catastrophe morale du 7 octobre. Il dit une chose qu’on n’entend presque jamais dans le monde arabe :
“Le 7 octobre a fait deux victimes. Les Israéliens, bien sûr. Mais aussi les Palestiniens.”
Pour lui, le Hamas n’a pas libéré la Palestine. Il l’a condamnée.
Il a plongé son propre peuple dans l’abîme. Il a livré Gaza à la punition collective, volé l’avenir des enfants, et offert à Israël la totale légitimité de riposter.
Rappelez-vous : deux jours après le 7 octobre, Tahar Ben Jelloun l’a dit — « le 7 octobre a tué la cause palestinienne ». Le résultat est là.
Le Hamas, et tous ceux qui le justifient en Occident, sont les alliés objectifs de ceux qui ont détruit la cause qu’ils prétendent défendre.
Je l’ai toujours dit : les premiers ennemis des Palestiniens, ce sont ceux qui parlent en leur nom en les menant au désastre.
L’écho de sa critique du Hamas est implacable :
“Ce ne sont pas des résistants. Ce sont des saboteurs de l’avenir palestinien. Ils ne construisent rien. Ils utilisent notre mort comme monnaie de pouvoir.”
Qu’en pensent ces gauchistes de la France insoumise qui attisent la haine ?
Ni Hamas, ni Abbas : une nouvelle génération attend son heure
Ali ne croit ni au Hamas ni à Mahmoud Abbas. Pour lui, le pouvoir palestinien actuel est “délégitimé”, “corrompu”, “épuisé moralement”.
“La solution ne viendra ni d’Israël, ni des États-Unis, ni de l’Arabie saoudite, ni du Qatar. Elle viendra des Palestiniens — mais d’une nouvelle génération de dirigeants, encore empêchée.”
Il croit aux jeunes. Aux désabusés. À ceux qui ne veulent plus choisir entre la mort et l’humiliation.
À une gouvernance qui ne parle pas de vengeance, mais de souveraineté intérieure. Et surtout à une gouvernance qui n’a pas peur de parler de responsabilité et de dignité, pas seulement d’occupation et de martyrs.
Taghyeer : transformer le sol avant les frontières
Son mouvement, Taghyeer (“Changement”), n’est pas une ONG de plus. C’est une tentative de renverser le récit palestinien de l’intérieur : non pas “résistance jusqu’à la mort”, mais dignité par la responsabilité.
“À quoi sert un État palestinien si les Palestiniens ne sont pas souverains d’eux-mêmes ?”
Dans sa voix, il n’y a pas de relativisme, pas de miroir moral. Il y a une exigence : que les Palestiniens cessent d’être captifs de ceux qui les détruisent, au nom de leur souffrance.
Écoutez cet homme, tant qu’il parle encore, avant qu’il ne soit trop tard
Ce n’est pas un “bon Arabe”. Ce n’est pas un supplétif. Ce n’est pas un conférencier décoratif pour ONG européennes. C’est un homme en lutte. Un dissident, au sens le plus noble de ce mot. Et si nous voulons vraiment donner du sens aux mots “paix” ou “solution”, alors il faut non seulement l’écouter, mais lui donner les moyens d’agir. Parce que la paix se construit avec ceux qui osent, pas avec ceux qui crient et gesticulent. Pas avec ceux qui bronzent sur les yachts de luxe financés par le Hamas. Pas avec ceux qui ne connaissent rien de la cause qu’ils prétendent défendre.
Parce qu’un peuple qui refuse de regarder en face ses propres démons n’est pas prêt à se libérer.
Parce que si nous voulons un autre avenir pour le Moyen-Orient, il faudra des Palestiniens comme Ali Abu Awwad — honorés, protégés, amplifiés. Encouragés, même si on n’est pas d’accord avec certains points. Ceux-là ne demandent pas qu’on pleure pour eux. Ils demandent qu’on arrête de les étouffer, par les voix des extrémistes, premiers ennemis des Palestiniens comme des Israéliens.
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