Ce lundi 28 juillet 2025, une conférence internationale sur la reconnaissance de la Palestine s’est tenue à l’ONU à New York, sous la coprésidence de la France et de l’Arabie saoudite.
Sans Israël. Avant même le désarmement du Hamas.
Ce sommet, censé relancer la paix, acte en réalité un alignement français sur l’agenda diplomatique saoudien. Il illustre de manière spectaculaire la dérive d’une diplomatie sans boussole, où la paix devient un slogan creux et les alliances, un théâtre d’ombres.
Ceux qui pensaient encore que la diplomatie française agissait selon une vision indépendante, stratégique ou morale peuvent se réveiller. Le dossier palestinien révèle ce que Paris est devenu : un instrument d’appoint au service de Riyad, prêt à sacrifier sa lucidité pour plaire à ses nouveaux partenaires arabes. Mais cette soumission n’est pas un simple alignement diplomatique. Elle s’inscrit dans une recomposition régionale plus vaste, où les anciens djihadistes deviennent fréquentables, les victimes sont oubliées, et les principes occidentaux sont piétinés au nom du pragmatisme. L’alliance entre Macron, MBS et les figures les plus ambigües du monde arabe ne construit pas la paix : elle en sape les fondations.
Le retour stratégique de l’Arabie saoudite… avec d’anciens djihadistes
La chute du régime Assad n’a pas mis fin aux contradictions du Moyen-Orient. Elle les a simplement déplacées. En témoigne l’axe inattendu qui se tisse entre l’Arabie saoudite et Ahmed al-Sharaa, le nouveau président syrien, ancien chef de guerre islamiste, jadis lié à Al-Qaïda. Ce rapprochement, aussi spectaculaire que cynique, illustre un basculement majeur dans la doctrine régionale saoudienne : celle d’un pragmatisme décomplexé, prêt à s’allier avec d’ex-djihadistes si cela permet de contenir l’Iran, restaurer l’influence sunnite et sécuriser ses propres frontières.
Il y a encore quelques années, Ahmed al-Sharaa — connu sous le nom d’Abou Mohammed al-Joulani — incarnait ce que Riyad prétendait combattre : l’islamisme armé, la logique insurrectionnelle djihadiste, et la menace transnationale des factions comme Jabhat al-Nosra ou Hayat Tahrir al-Sham. Aujourd’hui, ce même homme est reçu à Riyad comme un chef d’État en devenir, présenté comme un partenaire “pragmatique”, voire “nécessaire”.
Ce retournement n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une série de glissements diplomatiques qui posent question. Car l’Occident ne semble pas avoir redécouvert Joulani par hasard. Il est fort probable que ce soit Riyad, et MBS en personne, qui ait servi de passeur entre l’ancien chef de guerre et les capitales occidentales. En accueillant Ahmed al-Sharaa à Riyad comme un président transitoire fréquentable, en mettant en scène sa supposée modération, en relayant ses promesses — jamais tenues — envers les minorités, le prince saoudien a joué le rôle d’enjoliveur politique auprès de Paris et de Washington.
Macron et Trump n’ont pas vraiment choisi Joulani : ils l’ont accepté sous influence. MBS, désormais faiseur d’interlocuteurs autant que de deals commerciaux, fabrique les visages fréquentables de demain.
La France s’aligne et s’efface
Et c’est ici que commence le naufrage français. Emmanuel Macron n’est pas seulement spectateur de ce basculement, il en est devenu l’un des relais les plus zélés. C’est précisément sur fond de normalisation saoudienne du djihadisme recyclé qu’il accepte de se mettre au service d’une autre entreprise diplomatique : la relance du “processus de paix” israélo-palestinien… à la sauce MBS.
Depuis des mois, l’Arabie saoudite, en quête de respectabilité diplomatique et d’influence régionale, s’emploie à repositionner la question palestinienne au centre du jeu international. Non pas par solidarité sincère ni par attachement aux Palestiniens eux-mêmes — que Riyad n’a jamais accueillis ni réellement aidés —, mais parce que cette carte reste une monnaie d’échange utile dans les négociations géostratégiques. Il fallait donc relancer la solution à deux États. Et pour cela, faire pression sur les capitales européennes.
La Norvège, l’Espagne, l’Irlande ont rapidement cédé. Puis la France.
Mais la France ne s’est pas contentée de céder. Elle a surenchéri. Emmanuel Macron a annoncé qu’il reconnaîtrait un État palestinien à la tribune de l’ONU en septembre. Et il l’a fait main dans la main avec Riyad. Coprésidence d’un sommet, coordination diplomatique, communication conjointe. Il faut relire les communiqués pour le croire : c’est l’Arabie saoudite qui remercie la France… et c’est la France qui se félicite d’être à l’avant-garde.
Une diplomatie du simulacre
Derrière les grands discours sur la paix, la France s’est alignée sur une initiative construite par un pays qui, en réalité, n’a jamais assumé les accords d’Abraham. Un pays qui refuse toujours de normaliser avec Israël. Un pays dont les élites religieuses, encore aujourd’hui, diabolisent l’État hébreu dans leurs prêches, condamnent les visites de responsables musulmans en Israël, et interdisent toute reconnaissance symbolique ou culturelle.
Mais voilà : Riyad veut désormais se poser en faiseur de paix. Et Paris a accepté d’endosser ce récit, quitte à falsifier la réalité.
En acceptant de coprésider une conférence où il s’agira de reconnaître la Palestine avant le désarmement du Hamas, sans réforme préalable de l’Autorité palestinienne, sans consultation d’Israël, la France fait un choix lourd de conséquences : elle valide un simulacre de paix, basé non pas sur la réciprocité, mais sur la pression morale exercée uniquement contre l’État juif.
Silences complices, renoncements assumés
Pendant que Macron serre la main de MBS et prépare une reconnaissance palestinienne téléguidée, il se tait sur les véritables drames. L’attaque coordonnée des tribus bédouines contre les Druzes dans le sud syrien — plus de mille morts en quelques jours — a été perpétrée par des groupes historiquement liés à l’Arabie et aujourd’hui alignés sur la ligne sunnite de Riyad. Ces massacres ont eu lieu sous les yeux du pouvoir syrien, avec un silence complice, voire un soutien tacite.
Or au même moment, une délégation saoudienne se rendait à Damas pour signer des accords économiques avec le nouveau régime d’al-Sharaa. Ce télescopage n’est pas anodin. Il révèle les angles morts d’un « nouvel ordre sunnite » qui, s’il néglige les minorités, s’expose à reproduire les fractures anciennes sous des habits neufs.
Et la France, dans tout cela ? Silence. Pas un mot d’Emmanuel Macron sur les Druzes massacrés. Peut-on exclure que ce mutisme soit lié à la dimension saoudienne du dossier syrien ? La France aurait-elle choisi de taire les crimes du régime Sharaa pour ne pas froisser Riyad, partenaire clé de la conférence sur la Palestine ? Ce silence, s’il est stratégique, est aussi un silence coupable.
Une diplomatie sans boussole
Mahmoud Abbas et son adjoint peuvent ne pas remercier la France. Ils remercient l’Arabie saoudite pour avoir « convaincu » la France. On pourrait en sourire si ce n’était pas si grave. Car derrière cette mise en scène, une vérité crue apparaît : la diplomatie française a perdu sa boussole.
Elle ne défend plus un processus équilibré. Elle épouse le narratif d’un camp qui fait du “plan de paix” un instrument de façade, au moment même où Israël est confronté à la barbarie du 7 octobre, à des attaques sur plusieurs fronts, et à une délégitimation sans précédent.
Pire : Macron ne convainc même pas ses alliés. Ni le Royaume-Uni, ni le Canada, ni l’Allemagne n’ont voulu le suivre. Trop risqué vis-à-vis des États-Unis. Trop flou, prématuré, déséquilibré. Mais Macron, lui, fonce. Il veut sa “victoire diplomatique”. Quitte à déstabiliser les équilibres et à conforter l’illusion que l’on pourrait imposer un État palestinien sans qu’Israël en soit partie prenante.
La paix selon les bourreaux
Ce n’est pas une reconnaissance. C’est un renoncement.
Renoncement au réel, à l’histoire et à toute cohérence.
On parle d’un État dont la moitié est contrôlée par une organisation terroriste qui nie l’existence même d’Israël, qui refuse toute paix, qui vient de massacrer des civils, et dont les parrains — Iran, Qatar, Turquie — sont précisément les interlocuteurs favoris de la diplomatie française depuis 2017.
En acceptant ce rôle d’exécutant du scénario saoudien, Emmanuel Macron ne construit pas la paix. Il en sape les fondations. Et en pensant redorer son blason au Sud global, il piétine ses principes, désoriente ses alliés, et insulte les victimes.
Par Faraj Alexandre Rifai