8 décembre. Un an après la chute d’Assad, l’Occident soutient une “nouvelle Syrie” portée par Ahmed al-Sharaa. Mais derrière ce nouveau récit diplomatique, les structures du pouvoir, les milices et les alliances n’ont pas changé. La transition annoncée n’est peut-être qu’un malentendu politique aux conséquences lourdes pour la région.
Un anniversaire que personne n’avait prévu
Le 8 décembre marque un anniversaire étrange : celui d’une chute que beaucoup croyaient impossible et d’une ascension que personne n’avait vraiment anticipée. Assad n’est plus, et la Syrie a désormais un nouveau visage : Ahmed al-Sharaa, ancien cadre d’Al-Qaïda devenu, en un an, l’homme que l’Occident s’empresse d’encourager et de présenter comme le possible artisan d’un renouveau syrien.
L’aspiration à voir la Syrie sortir du chaos est compréhensible. Elle est même légitime. Après quinze années d’effondrement, de guerre et de fragmentation, le désir d’un changement réel est plus que justifié, il est fortement attendu, au regard des souffrances des Syriens.
Mais un an après, le compte n’y est toujours pas. Le Moyen-Orient se nourrit de récits, parfois même de mirages, et c’est exactement ainsi que les erreurs se répètent.
Un récit séduisant… mais un malentendu profond
Depuis un an, tout le récit construit autour d’al-Sharaa repose sur un malentendu fondamental : l’idée qu’un discours modernisé, quelques gestes calibrés et une communication habile pourraient suffire à attester d’une véritable transformation des islamistes.
Or rien, dans la réalité syrienne, ne témoigne d’une rupture avec la matrice idéologique islamiste qui l’a porté au pouvoir. Les mécanismes profonds sont restés inchangés : les tribunaux religieux continuent d’imposer leur logique, les minorités demeurent sous pression, des milices djihadistes forment l’essentiel de l’armée et une partie s’est incrustée dans le pouvoir administratif, l’économie informelle prospère, les réseaux et influences turcs et qataris façonnent le pays, les menaces contre Israël se multiplient, et les milices issues d’Al-Qaïda se pointent dans le sud du pays. Le décor a évolué, les hommes ont revêtu des costumes mieux taillés, mais les structures, elles, n’ont pas bougé d’un pouce.
Au même moment, Jolani — l’autre visage de l’islamisme syrien — a lui aussi révélé la continuité. L’homme qui prétendait avoir “tourné la page” a expliqué le 6 décembre 2025 à Doha que les “vrais terroristes” seraient les États-Unis et Israël, et non les groupes qu’il a dirigés. Il élabore sa propre définition du terrorisme, efface son passé, relativise ses actions, et se positionne en chef de guerre “protégeant les civils”. C’est le même logiciel idéologique, la même stratégie de réécriture, la même volonté d’inverser les rôles.
L’Occident face à ses contradictions syriennes
En 2011, paralysée par la peur des islamistes, l’Europe avait renoncé à soutenir les forces démocratiques syriennes, laissant de facto le terrain aux groupes jihadistes les plus organisés et les plus radicaux. Ironie de l’histoire : quelques années plus tard, cette même Europe — et plus largement l’Occident — se retrouve à soutenir ces acteurs qu’elle redoutait, les drapant aujourd’hui dans l’habit flatteur du “pragmatisme” et de la “modération”. Un soutien trop rapide, trop enthousiaste, risque une nouvelle fois de consolider les mauvaises forces et de figer la Syrie dans un équilibre illusoire.
Une transition n’existe pas sans conditions
Croire qu’une transition peut se produire sans conditions sérieuses est une erreur stratégique. Aucune reconstruction crédible n’émergera tant que les milices ne seront pas désarmées, que les minorités ne bénéficieront pas de garanties institutionnelles véritables, que les réseaux jihadistes ne seront pas clairement écartés, que les circuits financiers resteront opaques et qu’aucun engagement réel ne sera pris en faveur d’une stabilité régionale incluant Israël. L’Occident dispose de tous les leviers pour exiger ces transformations ; il choisit simplement de ne pas les activer.
Lire aussi :
