Le journaliste israélien David Horovitz, Times of Israel , a passé deux jours à Damas avec un groupe juif américain. Entre synagogues détruites, prières retrouvées, fresques de Doura-Europos et rencontres avec le régime Sharaa, ce récit dévoile une Syrie oscillant entre ouverture affichée et fragilité profonde.
C’est une scène qu’on aurait cru impossible. À Damas, un groupe juif américain mené par un rabbin se déplace dans la capitale syrienne, priant dans une synagogue abandonnée, visitant le cimetière juif, découvrant les fresques de Doura-Europos, et rencontrant des ministres du nouveau régime d’Ahmed al-Sharaa. Parmi eux, un journaliste israélien, rédacteur en chef du Times of Israel, visible, assumé, accueilli officiellement.
Le récit qu’il livre ressemble à une parenthèse surréaliste, mais il dit beaucoup de ce moment charnière : une Syrie qui cherche à se montrer ouverte, qui tend une main calculée à ses anciens Juifs, tout en jouant sa survie politique entre stabilisation fragile et risque de replonger dans le chaos.
Des synagogues en ruine aux prières retrouvées
Dès leur arrivée, le contraste saute aux yeux. Accueil VIP à l’aéroport, protocole souriant, voitures officielles : le régime veut montrer une image maîtrisée. Mais le premier arrêt est à Jobar, quartier réduit en cendres après onze ans de siège. Là se trouvait la plus ancienne synagogue de Syrie, Eliyahu Hanavi, lieu de mémoire millénaire. Il n’en reste rien, sinon des gravats et des trous creusés par des pilleurs à la recherche d’artefacts.
Le lendemain, dans une autre synagogue de Damas, Elfaranje, l’atmosphère change. Les lourdes portes finissent par s’ouvrir, et un minyan s’improvise autour d’un Sefer Torah. Des rabbins prient à voix haute, entourés de Syriens curieux et de membres du protocole. Pour les visiteurs, c’est un moment bouleversant : la continuité d’une histoire juive syrienne qui semblait éteinte reprend corps, ne serait-ce qu’un instant.
Le patrimoine comme outil de diplomatie
Le groupe découvre ensuite le cimetière juif de Damas, avec la tombe du kabbaliste Hayyim Vital, disciple du Ari de Safed, mort en 1620. Ils y récitent des prières, filmés par les équipes syriennes, sous le regard bienveillant de gardiens. Plus tard, c’est au Musée national que se déroule l’épisode le plus marquant : les fresques du IIIe siècle de la synagogue de Doura-Europos, normalement invisibles au public, sont exceptionnellement dévoilées.
Les visiteurs juifs, les conservateurs syriens et même des soldats présents se retrouvent à contempler ensemble ces peintures bibliques vieilles de deux millénaires. Scène improbable, presque théâtrale, mais qui illustre une volonté claire : montrer une Syrie qui valorise son héritage juif pour se repositionner comme pays « ouvert aux religions et aux cultures ».
La main tendue du régime Sharaa
Ces gestes patrimoniaux ne sont pas isolés. Le régime a voulu donner des gages concrets : les portes d’une synagogue volées à Damas ont été restituées par la police, et un responsable a été désigné au ministère des Affaires étrangères pour gérer les dossiers juifs. Dans les discours, le narratif est calibré : la Syrie tend la main à sa diaspora, veut « tourner la page des acteurs non-étatiques », attirer la technologie étrangère, bâtir une économie ouverte.
Mais au fil des rencontres, une obsession revient : Israël. Les ministres répètent vouloir la stabilité au Sud, dénoncent les frappes israéliennes et accusent Netanyahu de chercher à maintenir le chaos. Derrière les sourires et le vocabulaire d’ouverture, l’antagonisme reste intact.
Entre façade et instant de vérité
Ces 48 heures racontent une mise en scène : celle d’un régime qui veut convaincre l’Occident de lui donner une chance, et montrer aux Juifs de Syrie qu’ils ont encore une place dans ce pays. Mais derrière la vitrine, tout reste fragile. Le pays est épuisé, les ruines sont omniprésentes, les réseaux de guerre ne disparaissent pas par décret. La « fenêtre étroite » que revendiquent les ministres pourrait se refermer brutalement.
Pour un Syrien qui a grandi dans la haine d’Israël et des Juifs, voir des rabbins prier à Damas relève de l’impensable. Mais je sais trop bien ce que valent les vitrines si l’arrière-boutique reste inchangée. La paix et la coexistence se jugent aux actes : protection réelle des minorités, restitution du patrimoine, vérité sur les disparus, et surtout un accord de sécurité avec Israël qui garantisse enfin la frontière et écarte les menaces iraniennes et du Hezbollah.
Une Syrie au bord du choix
Ces 48 heures sont un révélateur : la Syrie de Sharaa cherche à se donner un nouveau visage. Elle tend la main, mais cette main doit être scrutée avec lucidité. Est-ce une façade de communication ou un tournant réel ? Tout dépendra des actes à venir.
Le journaliste israélien a quitté Damas sans incident, entouré de rabbins et d’universitaires, accueilli avec respect dans les rues et les souks. Une image qui aurait semblé irréelle il y a encore un an. Mais le vrai test n’est pas dans les images : il est dans la capacité du régime syrien à transformer l’ouverture symbolique en changements concrets et durables.
En lisant ce récit d’un journaliste israélien en Syrie, je ne peux pas ne pas penser à ce Syrien en Israël que je suis. Deux trajectoires inversées, mais une même expérience, même ressenti : franchir les frontières de haine. Lui, Israélien, marche à Damas ; moi, Syrien, j’ai découvert Israël. Dans ces rencontres improbables se cache une vérité simple : ce sont ces traversées interdites qui fissurent les murs et redonnent sens aux mots coexistence et paix.
Photo : Le rabbin Mendy Chitrik prie sur la tombe du rabbin Hayyim Vital, au cimetière juif de Damas, le 15 septembre 2025 (David Horovitz / Times of Israel).
Retrouver le reportage complet de David Horovitz dans Times of Israel.
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