En ce jour, Israël s’arrête.
Le bruit s’éteint, les moteurs se figent, les voix se taisent.
Une sirène monte, longue, nue, et tout le pays se dresse.
Une minute. Une minute qui dure une éternité.
C’est Yom HaZikaron.
Le jour où Israël se souvient de ses morts.
Pas seulement ceux d’hier,
mais ceux de toutes les guerres,
de tous les attentats,
de tous les bus éventrés, exposés.
Des jeunes soldats tombés à 18 ans,
mais aussi des femmes enceintes, des nourrissons,
des vieillards arrachés à leur prière dans une synagogue…
Des familles brisées. Des vies fauchées.
Moi, je suis Syrien.
J’ai grandi de l’autre côté de cette frontière que l’on n’a jamais cessé de vouloir effacer.
J’ai grandi en fêtant toutes ces morts.
J’ai grandi au son des cris de joie et des « Allah Akbar » à chaque victime,
même lorsqu’il s’agissait d’un enfant.
On ne nous apprenait pas simplement à nous réjouir de la mort des “sionistes”.
On nous apprenait à applaudir, à danser.
Les femmes faisaient des youyous pour célébrer leur douleur.
On nous apprenait à nier leur humanité.
Et maintenant, je suis là.
Avec eux.
Parmi ceux à qui, enfant, je souhaitais la mort.
Je vis parmi eux.
J’écoute leurs noms,
je regarde l’ombre de leurs visages gravée sur les pierres blanches,
je croise leurs parents dans les cimetières.
Je veux leur demander pardon.
J’ai honte de cette haine dans laquelle j’ai grandi.
Elle n’est pas humaine.
Elle est monstrueuse.
Injustifiable.
Maudite par n’importe quel dieu digne de ce nom.
Et pourtant, elle est encore cultivée, encore inculquée,
par des marchands de haine qui attisent la violence.
Au nom de l’humanisme.
Mensonges.
Hypocrisie.
Moi, j’ai décidé d’aller à la rencontre de mon ennemi.
Oui, je l’ai décidé.
Peu importe que certains ne comprennent pas.
Peu importe que d’autres me traitent de traître.
Peu importent les insultes,
et les menaces.
Ce n’est plus l’ennemi.
Ce sont mes frères.
Mes amis.
Mes amours.
Des gens debout, meurtris, mais dignes.
Meurtris, mais profondément humains.
J’ai compris qu’il y a en Israël deux journées qui me bouleversent plus que toutes :
Yom HaShoah – le prix d’un peuple sans refuge.
Yom HaZikaron – le prix pour avoir enfin un refuge.
Je n’ai pas grandi avec cette mémoire-là.
Mais ce soir, je me tiens avec eux.
En silence.