J’étais invité hier à la soirée du lancement du centre du dialogue et de normalisation au Moyen-Orient à Tel Aviv
Voici mon discours :
Shalom Israël
Avant tout, je tiens à vous remercier pour cette précieuse invitation et pour le grand honneur d’être ici avec vous aujourd’hui, à Tel-Aviv, pour le lancement du Centre de dialogue régional entre le peuple israélien et les peuples du Moyen-Orient.
Qui aurait pu imaginer qu’un jour, moi, Faraj Alexander Rifai, né et grandi en Syrie, me retrouverais ici parmi vous, en Israël ?
La vérité, c’est que même aujourd’hui, j’ai du mal à y croire.
C’est pourtant ma troisième visite en Israël, mais à chaque fois, je ressens la même chose : de la surprise, de la stupeur. À chaque fois, je me souviens des barrières plantées en moi depuis l’enfance et je mesure la haine enracinée que nous devons combattre inlassablement.
Je me souviens très bien de mon adolescence à Damas. Un matin, j’ai pris le bus pour aller à l’école, comme d’habitude. On avait l’habitude d’écouter des émissions matinales ou des chansons de Fayrouz.
Mais ce matin-là, c’étaient des versets coraniques qui résonnaient à la radio. J’étais intrigué. Dans la Syrie « laïque », la radio officielle diffusait rarement le coran à cette heure. Ou alors on diffusait généralement le Coran après la mort d’une personnalité importante. Que s’était-il passé ? Est-ce que Hafez el-Assad était mort ? Y avait-il eu un événement majeur ?
Quand je suis arrivé à l’école, la réponse est arrivée : les professeurs nous ont dit que nous allions tous être conduits à la place des Omeyyades, au cœur de Damas. On nous y a emmenés de force, en bus, pour participer à une manifestation de colère contre Anouar el-Sadate, qui venait de signer un accord de paix avec “l’ennemi sioniste”.
C’est à ce moment-là que j’ai compris pourquoi la radio diffusait du Coran.
Sur cette place, j’étais là, au milieu de milliers d’élèves, d’enseignants, de citoyens, criant avec eux :
« Mort au traître ! Mort aux Juifs ! Mort à l’Amérique ! »
On a brûlé le drapeau israélien (étrangement, pas le drapeau égyptien, ce qui m’a étonné à l’époque).
J’ai vu des élèves pleurer, des femmes se frapper la poitrine de rage et de douleur.
Et moi ? J’étais l’un d’eux. Convaincu, participant, persuadé que la paix avec Israël était la pire des trahisons et qu’elle était une déclaration de guerre.
Mais au milieu de cette foule et de ces slogans, une toute petite question s’est mise à me hanter, discrète, silencieuse : pourquoi la paix serait-elle une trahison ?
Pourquoi le dialogue serait-il une honte ?
Pourquoi parler à l’ennemi serait-il interdit ?
Je n’osais même pas me poser la question à voix haute.
Les jours et les mois ont passé…
Et puis, un jour, on nous a ramenés une nouvelle fois sur cette même place des Omeyyades, cette fois pour célébrer l’assassinat d’Anouar el-Sadate.
Oui, nous fêtions la mort. La mort d’un homme qui avait fait la paix et récupéré le Sinaï pour son pays.
Et ce jour-là, la même question m’a traversé : pourquoi célèbre-t-on la mort ? Pourquoi se réjouit-on du sang versé ?
Ces questions ont grandi avec moi, mais elles sont restées enfouies. Je n’avais pas le courage d’y réfléchir vraiment.
Jusqu’à ce que je quitte la Syrie pour la France.
En France, j’ai découvert d’autres récits, d’autres versions de l’histoire. J’ai rencontré des personnes différentes. J’ai lu. J’ai écouté. J’ai regardé des films sur la Shoah, sur la vie quotidienne en Israël.
Peu à peu, j’ai découvert qu’Israël n’était pas ce monstre qu’on m’avait dépeint.
Israël était un ennemi qu’on avait fabriqué pour moi, qu’on avait dessiné dans mon esprit avec des mensonges et des déformations pour enraciner la haine en moi.
Si je n’avais pas quitté la Syrie, si je n’avais pas été exposé à d’autres récits, à d’autres vérités, je serais probablement aujourd’hui cette même personne nourrie de haine.
Et j’aurais vu l’homme que je suis devenu aujourd’hui comme un traître.
Je me serais traité de traître.
J’aurais peut-être justifié mon élimination et les menaces, comme nous avons applaudi à l’élimination d’Anouar el-Sadate.
C’est pour cela qu’aujourd’hui encore, il m’arrive d’avoir du mal à croire que je suis ici, à Tel-Aviv, parmi vous — vous, dont on m’a toujours dit que vous étiez mes ennemis éternels.
Je suis très fier d’être désormais votre ami. Je suis très fier avec vous aujourd’hui pour le lancement de cette initiative de dialogue et de communication entre les peuples du Moyen-Orient.
Ce qui m’aurait semblé impossible il y a 30 ans est devenu non seulement une réalité, mais un combat que je porte.
Oui, notre bataille aujourd’hui, c’est celle de tous : remplacer les murs de la haine par des ponts de dialogue.
Le dialogue commence par l’écoute avant même la parole. Il commence par accepter que l’autre est différent, et qu’il a le droit d’être différent.
Le dialogue, c’est parler même quand on n’est pas d’accord.
Le dialogue, c’est reconnaître l’existence de l’autre.
C’est refuser de souhaiter sa mort ou de la justifier.
Il y a plus de deux ans, avant le 7 octobre, il y avait un véritable espoir de paix et de normalisation, surtout avec les Accords d’Abraham.
Je suis venu en Israël plein d’espoir.
J’ai vu, de mes propres yeux, des Saoudiens et des Émiratis s’asseoir et parler avec des Israéliens, discuter, débattre, parfois s’opposer, mais se parler. Et surtout imaginer ensemble un nouveau Moyen-Orient.
Sur les réseaux sociaux, nous avions réussi à rassembler des gens de toute la région dans des espaces de dialogue commun, même parfois musclés. Mais on dialoguait.
Là où les gouvernements échouaient, nous, les avatars souvent anonymes, mais parfois à visage découvert, nous avions réussi à créer cet espace de la parole et du dialogue.
Cela m’avait donné une immense espérance. Et j’étais venu en Israël.
Quand j’ai vu ce blogueur saoudien venir en Israël, parler en hébreu et exprimer son amour pour ce pays, j’ai senti que, moi aussi, je pouvais faire ce pas.
J’ai trouvé le courage de traverser ce pont, de devenir ce “traître” que j’avais tant détesté.
Mais aujourd’hui, je suis fier. Fier d’être ce “traître”.
Et puis, le 7 octobre est arrivé.
Nous avons tous vécu une horreur indicible.
Nous avons vu la barbarie du Hamas, de l’Iran et du Qatar.
Nous avons vu des centaines d’Israéliens massacrés, égorgés, kidnappés.
Nous avons vu comment ils ont plongé Gaza dans la destruction et causé la mort de milliers de Palestiniens.
Nous avons vu comment ils ont tenté d’assassiner l’espoir même — l’espoir du dialogue et de la paix.
Aujourd’hui, notre combat à tous, c’est de raviver cet espoir.
De restaurer le dialogue.
De réapprendre à se connaître.
De ne pas laisser les monstres islamistes terroristes gagner par la haine qu’ils veulent nous injecter, car elle ne mène qu’à de nouvelles catastrophes.
Notre combat est de construire des ponts plutôt que creuser des tombes.
Merci