Depuis la chute du régime Assad, une question que je n’aurais jamais imaginé entendre sérieusement est revenue avec insistance : la Syrie peut-elle rejoindre les accords d’Abraham ? La Syrie de Joulani, peut-elle faire la paix avec Israël ?
À cette question, longtemps impensable, s’ajoute une autre, plus dérangeante encore pour moi, un Syrien, soutient d’Israël et fervent partisan de la paix avec celui qu’on nous a toujours désigné comme éternel ennemi : et si cette paix passait… par Joulani ?
Ahmad al-Sharaa, ancien chef d’un groupe issu d’Al-Qaïda, dirige aujourd’hui la Syrie post-Assad. Ce seul fait, en soi, est un choc. Il dit avoir tourné la page du jihadisme. Il parle aujourd’hui de reconstruction, de stabilité, de coopération régionale. Il a même rencontré Donald Trump en Arabie saoudite. Et dans certains discours, il laisse entendre qu’une paix avec Israël est envisageable.
C’est inédit.
C’est même vertigineux.
Et pourtant, je ne peux m’empêcher d’éprouver une profonde méfiance, notamment après les massacres des Alaouites le 7 mars 2025.
Je suis de ceux qui ont dénoncé Joulani dès les premières heures de sa prise de pouvoir. Je connais son passé, son idéologie d’origine, sa stratégie d’enracinement dans la société syrienne. Je n’oublie pas ce qu’était Hayat Tahrir al-Sham. Et je me méfie de ces conversions politiques trop bien scénarisées.
Mais je suis aussi de ceux qui, envers et contre tout, continuent de croire en la possibilité d’un basculement régional vers la paix. Une paix froide peut-être, partielle, incertaine. Mais une paix tout de même.
La normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes a déjà rebattu les cartes. Les Émirats, le Maroc, le Bahreïn ont compris qu’Israël n’est pas le problème, mais un partenaire potentiel. Une chance pour le Moyen-Orient.
La Syrie pourrait-elle suivre ce chemin ? Cela dépend de beaucoup de choses : de la sincérité de Joulani, de la capacité des Israéliens à sécuriser leur frontière nord, du soutien des Américains, et surtout… de la capacité du peuple syrien à dépasser la haine qui a été nourrie en lui pendant des décennies. Et croyez-moi, ce n’est pas une mince affaire.
Car ce dernier point est le plus difficile. Car même si les dirigeants changent, la mémoire, elle, reste. La haine, les guerres passées, la propagande : tout cela ne s’efface pas en un discours.
Alors oui, j’ai des réserves. Mais je ne veux pas renoncer à l’espérance. Si le passé de Joulani est un poids, il ne doit pas devenir un verrou.
Ce n’est pas lui que je soutiens.
C’est la possibilité que, malgré lui, ou avec lui, une autre voie s’ouvre.
Ce serait naïf d’y croire aveuglément. Mais ce serait irresponsable de ne pas explorer cette hypothèse, à condition qu’elle repose sur des actes clairs : rupture avec l’idéologie jihadiste, démilitarisation, garanties diplomatiques et, surtout, un dialogue réel avec la société syrienne, et justice pour toutes les minorités, alaouites, druzes, kurdes …
La paix ne viendra pas d’une simple signature. Elle viendra d’un basculement des récits, d’une volonté de tourner une page.
Et si, dans ce Moyen-Orient cabossé, l’improbable devenait possible ?
Je ne sais pas ce que fera Joulani. Mais je sais ce que je veux : une Syrie en paix avec elle-même et avec Israël.
Faraj Alexandre Rifai
