(Extrait et réflexion autour du chapitre “L’ennemi sioniste”, tiré de mon livre Un Syrien en Israël*)*
Le 6 octobre 1973, la guerre du Kippour éclatait.
Pendant des décennies, cette date fut célébrée en Syrie comme une fête de “victoire” contre Israël.
Aujourd’hui, alors que le pays tourne la page de cette commémoration guerrière, je repense à ce jour où, enfant de neuf ans, j’ai entendu pour la première fois ces mots : “l’ennemi sioniste.”
Ce souvenir raconte moins la guerre que le moment où un enfant découvre la propagande — et commence, sans le savoir, à s’en libérer.
« Nos regards figés, nous étions comme une nature morte au sol, contemplant un ciel en pleine effervescence. »*
Le matin d’octobre
J’avais huit ans.
C’était un dimanche clair, au lendemain de l’annonce de la guerre.
Dans la cour de l’école, les avions surgissaient dans le ciel d’octobre au-dessus de Damas.
Leurs rugissements recouvraient le bruit des jeux d’enfants.
Les maîtresses et la directrice, inquiètes, sortaient dans la cour, les yeux levés vers un ciel devenu champ de bataille.
Puis, soudain, un missile fila vers la ville.
Depuis la montagne où se trouvait notre école, nous pouvions voir la plaine s’étendre à perte de vue.
La flèche de feu frappa un quartier en contrebas, une explosion retentit, et une colonne de fumée noire s’éleva dans l’air limpide.
Pendant quelques secondes, le temps sembla suspendu.
La guerre entre dans la maison
De retour chez moi, la tension était palpable.
Le présentateur de Radio Damas parlait d’une voix solennelle : la guerre faisait rage.
Jamais il ne prononçait le nom d’Israël — seulement “l’ennemi sioniste” ou “l’entité sioniste.”
Le mot Israël, que mes parents utilisaient dans leurs discussions privées, disparaissait du langage officiel.
Je ne savais pas exactement ce que ce mot signifiait à l’époque,
mais le terme ennemi suffisait à clarifier les choses.
Le “sioniste” était celui qui voulait nous détruire.
Et cette conviction, on me la transmettait comme une vérité simple, incontestable.
L’image du mal
Le soir, à la télévision en noir et blanc, un présentateur grave racontait la première journée de guerre.
Les images d’avions illustraient son récit, mais la scène du missile frappant Damas avait disparu.
À la place, on diffusait des images d’archives : un homme borgne, souriant, en uniforme.
Ma mère, en le voyant, s’exclama : « Moshé Dayan, le borgne. »
Ce fut la première image que j’eus d’un “sioniste”.
Ce visage, avec son bandeau noir, devint celui du mal.
Avant même de comprendre la guerre, je venais d’apprendre à reconnaître un ennemi.
La petite voix
Et pourtant, une part de moi résistait.
Sous les mots répétés, sous la peur et la colère, quelque chose en moi doutait.
Je ne savais pas pourquoi, mais je sentais qu’il manquait une vérité que personne n’osait dire.
Ce doute, enfoui dans la tête d’un enfant, fut peut-être le début d’une liberté intérieure.
« Malgré toute la haine que j’étais conditionné à ressentir envers cet ennemi sioniste, quelque chose en moi résistait, une part de moi refusait de se laisser entièrement emporter par cette adversité imposée. « *
* extraits du livre Un Syrien en Israël
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